Jean-Paul STAHL, professeur émérite de maladies infectieuses et tropicales au CHU Grenoble-Alpes

En évoquant l’impact du COVID-19 sur notre système de santé, la place de la recherche et la vaccination dans la géopolitique, le professeur Jean-Paul Stahl pointe l’agilité des professionnels de santé face à la lourdeur administrative. Un parcours qui retrace une vie de praticien, de chercheur, d’expert et même de sportif de très bon niveau !

« Notre système de santé durant la crise sanitaire a été remarquablement efficace »

Telle est la première appréciation de Jean-Paul Stahl, professeur émérite de maladies infectieuses et tropicales au CHU de Grenoble-Alpes. « Compte tenu des circonstances, il a tenu le choc ce qui était loin d’être évident. Je trouve donc que c’est un crash-test parfaitement réussi. » La deuxième leçon à tirer selon cet expert ayant siégé dans différentes instances nationales comme l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (AFSSAPS), la Haute autorité de santé (HAS) et la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF), est la performance des professionnels de santé sur le terrain. « Décider, réagir, s’adapter, c’est notre métier et notre quotidien. A chaque fois que les médecins ont pris en charge l’organisation, ils ont su répondre aux besoins de manière rapide et efficace. Le vrai frein a été d’ordre administratif, ce qui est un normal puisqu’une administration, avec tous ses garde-fous, n’est pas conçue pour être aussi agile et réactive.

 

Ce constat nous donne la direction à prendre pour améliorer l’offre de soins ». En revanche, ce que l’homme de sciences a beaucoup plus de mal à accepter ce sont « les actions et les effets parfaitement délétères de certains médias qui ont sur-joué dans le registre alarmiste et anxiogène, mettant en avant certains « rigolos de cirque ». Cette attitude clairement irresponsable a eu un impact catastrophique sur la santé publique en torpillant notamment les essais cliniques sur l’évaluation des antiviraux face au COVID 19 ». Conséquence d’un débat qui n’avait pas lieu d’être, des patients ont refusé d’être inclus alors qu’il était important d’en avoir le maximum pour arriver à démontrer l’utilité ou non des traitements. « La France avait une occasion unique de sortir un essai de grande envergure, elle l’a laissée passer, en partie à cause de la polémique médiatique et de la difficulté administrative avérée de dépasser les frontières ! ».

 

L’interférence des données géopolitiques sur celles de la santé

En tant que président du Syndicat européen des infectiologues, Jean-Paul Stahl reconnait que notre pays est un des leaders dans le domaine, par la qualité de sa recherche biologique et clinique. « Avec des systèmes de santé complètement différents, l’Angleterre, l’Allemagne et la France constituent le trio de tête. Malheureusement, la recherche européenne face à la crise sanitaire n’a pas vraiment existé, comme en témoigne l’échec de Discovery, et c’est un vrai souci. » Et de soulever des freins d’ordre politique auxquels il faudra remédier. « Comme beaucoup de mes confrères, j’ai l’habitude de travailler avec des équipes étrangères, et suis en contact de manière quasi quotidienne avec mes homologues anglais et américains sur des protocoles de recherche. Quand on est en relation d’équipe à équipe, il n’existe en général aucun problème.

 

En revanche, avec le Brexit, nous allons être confrontés à de nouveaux obstacles réglementaires en matière de transferts de médicaments ou de prélèvements biologiques. Ces échanges deviennent extraordinairement compliqués, exemple d’une réelle interférence de la politique dans le domaine de la science ».

Quant à la volonté affichée de la Chine de se positionner comme nouvelle puissance de recherche médicale et scientifique, il l’estime louable même si son système politique parasite beaucoup la démarche scientifique et qu’il demeure compliqué de mesurer le degré de fiabilité des informations. « En tant que rédacteur en chef de la revue « Médecine et maladies infectieuses », j’ai reçu beaucoup de propositions d’articles chinois sur le COVID 19 qui étaient de qualité moyenne. Ils ont donc encore des progrès à faire… »

 

Les vaccins, un véritable enjeu stratégique

Le parcours de Jean-Paul Stahl est également marqué par un engagement en faveur de la vaccination, comme en témoigne sa participation à différents rapports ministériels sur l’hépatite B, le BCG, la grippe H1N1 et la pandémie grippale. « Les vaccins sont devenus un enjeu de géopolitique majeur puisqu’ils sont par définition un outil de prévention de masse et donc de bonne santé globale de la population ». Les investissements colossaux écartent bien des nations de la course. « Face au COVID19, c’est donc à mon avis plutôt l’Europe qui devrait débloquer des fonds. Sans compter que pour alimenter le marché en milliards de doses, la construction d’usines avec des chaînes dédiées sera nécessaire.Il faut l’anticiper et faire en sorte que le plus grand nombre accepte de se faire vacciner, ce qui, comme le montre les chiffres saisonniers de la grippe est loin d’être le cas…

A l’époque de la grippe H1N1, j’étais président de la SPILF et avais alerté le ministère de la Santé sur le risque d’écarter les médecins libéraux qui sont des relais d’information essentiels. Résultat, on a vu s’ouvrir les fameux vaccino-hangars où, à l’arrivée, très peu de monde s’est rendu ! ».

Pour avoir pratiqué le ski de compétition, le sport lui a montré que les victoires n’apprennent jamais rien. « C’est toujours en perdant que l’on progresse. Même si les administrations ont tendance à donner dans l’autosatisfaction, elles devraient regarder ce qui a été mal géré en période de crise pour s’améliorer encore et anticiper la prochaine. Les soins et les patients en sortiraient alors vraiment gagnants ! ».

 

Bio express

Professeur émérite de maladies infectieuses et tropicales à l’Université et au CHU de Grenoble-Alpes, dont il a été chef de service durant de nombreuses années, Jean-Paul Stahl est actuellement coordinateur du groupe des recommandations au sein de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) qu’il a précédemment présidé et membre du groupe des recommandations européennes de la Société savante européenne de maladies infectieuses. Ancien expert à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (AFSSAPS) et membre de la commission de la transparence à la Haute autorité de santé (HAS), il a participé à différents rapports pour le ministère de la Santé sur la vaccination, l’hépatite B et le BCG, la grippe H1N1 et la pandémie grippale.

Il est également rédacteur en chef de la revue scientifique « Médecine et maladies infectieuses ».

Conception : Doshas Consulting
Responsable de la publication : Didier Ambroise
Rédaction : Cécile Jouanel
Conception et réalisation : Agence Biskot.Bergamote
Crédits : Jean-Paul Stahl et Shutterstock

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