Comment gérer la pression et la fatigue au quotidien, dans un cockpit de Mirage 2000 ou dans un bloc opératoire ? Comment éviter que les émotions ne viennent perturber la concentration et la prise de décision d’un pilote ou d’un chirurgien ? Comment réduire les risques et limiter les erreurs en apprenant à travailler en équipe et à faire confiance aux autres ? Comment mettre en place une organisation optimisant la performance humaine ?

Autant de réponses que l’expertise militaire aérienne peut apporter au secteur médical.

Dans l’aviation civile et militaire, différents outils permettent d’optimiser la performance humaine. Pour avoir été aux commandes d’un Mirage 2000 et avoir volé tous les jours, durant 17 ans, dans l’armée de l’air, je mesure toute l’importance des procédures de vérification et des sessions de formation qui ont pour objectif de minimiser les risques engendrés par une quelconque défaillance humaine. Parallèlement à la navigation, j’ai également développé au sein de l’armée de l’air une expertise sur les facteurs organisationnels et humains, en formant les équipages à mieux travailler ensemble. Leur apprendre à ne pas tomber dans tous les pièges résultant d’un état de fatigue passagère, d’un moment de colère, d’un état d’esprit personnel qui, à un instant précis, va altérer leur perception de la situation et par conséquence influencer leur prise de décision. Enseigner aux décideurs à se méfier de certaines idées préconçues les laissant penser avoir été compris par leur équipe alors qu’en réalité l’information n’a pas été justement transmise ou analysée.

Chirurgiens et pilotes de chasse, même combat organisationnel !

Fort de cette expérience, j’avais alors, un peu naïvement, la faiblesse de penser que ces pratiques étaient largement répandues dans le monde du travail et que les entreprises, telles des escadrons de chasse prenaient en compte ces facteurs humains ! L’électrochoc est venu d’une discussion avec un chirurgien, renforcé par une observation des pratiques dans plusieurs hôpitaux qui m’ont convaincu de la nécessité d’intervenir pour sensibiliser le personnel médical aux facteurs organisationnels et humains (FOH). Si je devais comparer les chirurgiens et les pilotes, je dirai qu’ils ont le même code génétique, la même appétence pour les missions à risques et un sens aigu des responsabilités. Et pourtant, quelle différence dans leur manière d’exercer ! Plus de 80% des premiers reconnaissent ne pas effectuer systématiquement et intégralement la checklist pour s'assurer qu'il s'agit du bon patient, que le matériel a été vérifié ou encore que les prescriptions post-opératoires ont été réalisées en bonne et due forme. Une part non négligeable d'entre eux considère que ces vérifications sont perçues comme une perte de temps, ou comme un simple acte administratif de traçabilité, elles ne font pas du tout partie de leur culture. Une attitude qui s’explique en partie par la formation initiale des futurs professionnels de santé.

La culture du dépassement de soi… et des autres 

Si l’on compare le milieu militaire à celui de la médecine, les logiques d’instruction sont radicalement opposées. Quand on est élève officier et que notre commandement nous demande de partir en opération, le plus important est que le groupe arrive ensemble. On apprend à marcher au rythme du dernier et à se débrouiller pour ramener un éventuel blessé ! Les futurs médecins, eux, doivent non seulement se surpasser mais surtout être meilleurs que les autres. Et cet état d’esprit perdure durant des années jusqu’à ce qu’ils deviennent des chirurgiens et des spécialistes que les patients viennent consulter pour leur renommée et leur spécificité, alors qu’aucun passager au monde ne choisit une compagnie aérienne pour son pilote. Il existe une réelle volonté de se différencier de leurs confrères. Rien d’anormal alors qu’ils se disent, de manière légitime et naturelle, que tout repose sur eux. Si les autres ne sont là que pour les assister, à quoi bon alors les mettre dans la boucle ? L’organisation dans laquelle ils évoluent professionnellement ne leur a jamais appris à partager la prise de décision, à se mettre à la place de…

C’est pour cette raison qu’en 2015 j’ai créé la société STAN Institute, avec deux associés anciens militaires, Marjorie Mazeau et Erwan de Penfentenyo de Kervereguen, respectivement formatrice de pilotes opérationnels de l’armée de l’air et commandant de bord sur avion-cargo. Une partie de notre activité consiste à démontrer aux équipes hospitalières la plus-value à travailler ensemble. Les infirmières en sont déjà persuadées, les anesthésistes de plus en plus. Reste à convaincre le chef d’orchestre, c’est-à-dire le chirurgien, en lui démontrant comment il pourra être encore meilleur et avoir plus de leadership en apprenant à déléguer.

Vis ma vie d’infirmière, d’anesthésiste, de co-pilote

Une prise de conscience qui passe par des outils tels que des serious games et des simulateurs de vol. Nous imaginons ainsi des situations de survie pour qu’ils se rendent compte de la synergie du 1+1 = 3, l’idéal étant d’avoir en face de nous une équipe constituée de personnes travaillant ensemble au quotidien. Pour nous, le « casting de rêve » est celui qui réunit des profils très différents comme par exemple un chirurgien, un anesthésiste, une infirmière de bloc, un infirmier anesthésiste et un personnel administratif. Après avoir dispensé une session de formation pour un Service Départemental d’Incendie de Secours à laquelle participaient notamment un  responsable RH, un chef de caserne et un nouveau sergent, l’un des pompiers a été très surpris de voir que le personnel administratif était capable de prendre de très bonnes décisions dans l’urgence, parfois même meilleures que celles émanant des soldats du feu ! Une manière concrète et efficace de démontrer que les rappels de procédures ne visent pas seulement à mettre « des bâtons dans les roues » de celles et ceux qui agissent sur le terrain.

L’intérêt du jeu est de pouvoir inverser les rôles et de faire tourner les postes. Ce changement de posture qui consiste à vivre la vie d’un autre favorise grandement la compréhension des contraintes et leur acceptation. C’est aussi une manière de se rendre compte que chacun fait partie de la même équipe. Certains, comme Éric Benfrech, chirurgien orthopédiste à Cognac, ont vécu cette expérience comme une véritable révélation. Ils sont depuis nos meilleurs alliés pour convaincre leurs pairs !

L’exception française

Pour avoir beaucoup travaillé avec l’US Air Force, je sais que les pays anglo-saxons sont beaucoup plus respectueux des process que la France. Derrière cette espèce de bon sens aveugle se cachent également de gros enjeux financiers. Cette acceptation des règles passe donc par la crainte de devoir payer pour indemniser d’éventuelles victimes. Dans notre pays, ce sont les hôpitaux publics qui vont aux tribunaux pas les médecins. Eux sont libres d’exercer leur art sans rendre de compte à personne. Ce désengagement, libérateur pour les professionnels de santé qui évitent ainsi la pression d’un procès ne doit cependant pas être utilisé de façon malsaine. Dans l’aviation, il existe une obligation, pour les organismes internationaux, à respecter « intelligemment » les protocoles. C'est-à-dire qu’ils sont encouragés à y déroger en cas de besoin. Le milieu médical pourrait s’en inspirer et ce, dans l’intérêt de notre système de santé en général…

 

LES AUTEURS

Jean-Pierre Henry

Navigateur sur Mirage 2000 dans l’armée de l’air durant 17 ans, Jean-Pierre Henry a été chef des opérations du Centre de Formation des Équipages de Mirage 2000D et Officier Sécurité Aérienne de la Base de Nancy. Il poursuit aujourd'hui son activité aéronautique dans la réserve opérationnelle de la garde nationale.  Avec deux associés, il a créé la société STAN Institute, experte en formation au travail en équipe dans les milieux à risques (aviation, chirurgie, ferroviaire) qu’il dirige. Coach ICN et Professeur affilié ICN Business School, Jean-Pierre Henry coordonne le programme Coach Professionnel ICN à Paris - La Défense. 

Références bibliographiques :

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