« La grande confrontation » par Raphaël Glucksmann. Les faiblesses de nos défenses immunitaires démocratiques face à Poutine !
Auteur de « La grande confrontation, comment Poutine fait la guerre à nos démocraties », Raphaël Glucksmann évoque la corruption organisée à grande échelle de bon nombre de dirigeants européens, l’état de guerre permanent de la Russie et la volonté par cette « voyoucratie » de propager le chaos informationnel dans nos pays. Il pointe également l’accélération des cyberattaques, notamment contre les établissements de santé tout comme l’enthousiasme des Ukrainiens, « hoplites du XXIe siècle » en faveur de l’UE et l’opportunité de remettre le politique aux commandes. Un livre en 3 actes, inspirant à plus d’un titre !
Dès son élection au Parlement européen, Raphaël Glucksmann lance l’idée d’une Commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’UE afin d’établir « un diagnostic global et d’exposer les failles de nos défenses ». Les travaux de cette commission qu’il préside depuis sa création en 2020 montrent l’aveuglement des élites européennes face aux motivations de Vladimir Poutine et l’envergure de leur corruption, tout en soulignant bien que celle-ci « est une question politique plus qu’esthétique ou juridique ». L’enjeu relève de la souveraineté et de la sécurité nationale. Il laisse entrevoir toutes « les faiblesses des défenses immunitaires de nos institutions face à l’argent non traçable (…) La corruption fait donc peser un risque vital sur notre sécurité collective. »
En remontant son histoire, un homme apparait comme une figure centrale. Il s’agit de Matthias Warning. Ancien officier de la Stasi, c’est lui qui « a ouvert les portes de la Russie aux capitalistes européens et celles de l’Europe à la kleptocratie russe. » Il achète donc tout ce qui est achetable, et en particulier Gerhard Schröder. A l’est, on parle même de schroederisation de l’Europe ! Avec la construction des gazoducs offshore Nord Stream 1 puis Nord Stream 2, terminé 6 mois avant l’attaque du 24 février 2022, l’objectif est triple : rendre l’Allemagne totalement dépendante du gaz russe, l’Ukraine totalement exposée et la Pologne totalement marginalisée.
La désinformation pour exporter le chaos
Si l’énergie est aujourd’hui une arme géopolitique, l’influence et la manipulation des réseaux sociaux sont largement utilisées pour que la désinformation attise le chaos, fidèle à une vieille tradition russe d’utiliser les forces les plus réactionnaires de l’Europe pour saper les fondements de nos démocraties. Côté russe, cette expansion permet de calmer les tensions intérieures. La menace d’avoir recours au nucléaire et « rêver d’anéantir Paris, Londres ou Berlin fait endurer la pauvreté, l’injustice et l’oppression » d’une population à qui l’on vend le « culte des terres perdues », véritable révisionnisme géopolitique. Dans un monde russe sans frontières déterminées, outre celles « fixées par le Tsar en fonction de ses besoins du moment », la guerre est une donnée constante et une fin en soi. Elle n’est pas territoriale et comme le déclare Piot Tolstoï, vice-président de la Douma, avant l’invasion de l’Ukraine, « elle est notre idéologie nationale ».
Autre erreur d’appréciation des chefs d’Etat de l’Ouest, révélatrice de leur cécité, Poutine n’a jamais été un partenaire. Pour citer l’auteur, il « parle et agit comme un voyou ( …) cherchant à établir l’extension du domaine du crime. » Avec lui, les règles de la mafia russe remplacent celles du droit international. Quand le non-droit règne, tous les coups sont permis et possibles ! Dans cette logique, « le spectacle du crime et de l’intimidation comptent autant que les actes ». Symbole et outil de l’entreprise de déstabilisation de nos nations, le groupe Wagner qui, malgré l’exigence du Parlement européen n’apparait pas sur la liste des organisation terroristes, ressemble à « une armée du chaos ». Reste cette question centrale : pourquoi la plupart des élites et dirigeants ouest européens ont-ils partagé ce déni, « confortablement installés dans leurs meubles » pour reprendre l’expression de Romain Gary en référence à la seconde guerre mondiale ?
Cyberattaques et menaces sur la sécurité européenne
Dans son ouvrage, Raphaël Glucksmann revient également sur la multiplication des cyberattaques contre les hôpitaux français depuis la pandémie et expose son point de vue pour que l’Europe développe des capacités autonomes de défense, qui lui permettraient ainsi d’éviter « de trembler à chaque élection américaine et d’être dépendante du vote des électeurs du Michigan » ! Il plaide pour un investissement massif en faveur de la défense, alors que cette idée est loin de faire l’unanimité à gauche de l’échiquier politique français. Et si l’Europe sort de l’OTAN, comment financer notre sécurité alors que les velléités guerrières de Poutine ne font aucun doute… Un problème d’appréciation et de point de vue culturel qui montre l’urgence de « remettre le politique au poste de commande », de faire primer l’intérêt général sur l’intérêt particulier, la sécurité sur le commercial. L’histoire n’est pas finie et l’Europe a encore des ennemis à combattre qui en veulent à l’idéal démocratique.
La guerre, puissant accélérateur de changement
Ce livre qui salue dès les premières pages le courage et les prévisions de l’immense journaliste Anna Politkovskaïa, est aussi un appel à la résistance. La guerre contre l’Ukraine est peut-être l’occasion de renforcer notre sécurité par des mesures écologiques ambitieuses, répondant à une exigence immédiate. « La sobriété n’est pas une restriction de notre puissance mais la condition de l’affirmation de cette puissance. » L’écologie politique mariée au réalisme pour réveiller le citoyen, défini par Aristote comme celui « qui tour à tour gouverne et est gouverné ». Les Ukrainiens, « hoplites du XXI e siècle », sont un bel exemple de courage comme vertu politique d’un peuple entré en résistance. La tentation de mépriser la démocratie sous prétexte qu’elle semble éternelle est démentie par les conflits du siècle et la perspective de l’effondrement devrait conduire au sursaut. A cet égard, tournons nos regards vers Taïwan. Ce pays, où la conscience partagée du péril met en effet la cité en mouvement, devrait lui aussi nous servir d’exemple…
LES AUTEURS
Fils du philosophe André Glucksmann, Raphaël Gluscksmann est élu député européen, en 2019, sous l’étiquette Place publique. Il préside depuis 2020, la Commission spéciale du Parlement européen sur l’ingérence étrangère.
Essayiste, il a publié plusieurs ouvrages chez Allary Editions, dont Les Enfants du vide. De l'impasse individualiste au réveil citoyen, en 2018, Lettre à la génération qui va tout changer, en 2021 et La grande confrontation, en mars 2023.